EGALITE. Pourquoi un gendarme métropolitain cotise-t-il plus deux fois plus que son collègue « originaire » pour la retraite lorsqu’il travaille en outre-mer ? C’est l’une des questions que pose aujourd’hui le «Collectif des gendarmes originaires». Une quarantaine de militaires réunionnais sortent de leur réserve pour que cesse ce qu’ils estiment être une application discriminatoire des textes de loi.
La chose est plutôt rare au sein du corps de la gendarmerie nationale. De par leur devoir de réserve, les gendarmes n’ont pas le droit de manifester, ni de donner tout simplement leur opinion publiquement. Une quarantaine de gendarmes réunionnais rassemblés sous le nom de « Collectif des gendarmes originaires » ont pourtant décidé de passer outre cette interdiction pour demander à leur hiérarchie de faire preuve de plus d’équité dans la gestion des carrières. Dans leur ligne de mire, les avantages liés aux mutations et à la retraite qui diffèrent selon que l’on soit un « originaire » -comprenez un ultramarin- ou un « non originaire ». Pour le gendarme métropolitain envoyé en mission en outre-mer, une année travaillée lui rapporte deux annuités, soit deux années de cotisation retraite, alors que l’originaire cotise, lui, normalement. Un décret daté du 3 novembre 2011 était venu remettre à plat cette différence de traitement. De 2012 à 2015, la majorité des gendarmes ont ainsi eu droit à cette « bonification de campagne » mais la donne a à nouveau changé par la suite. « En 2015, la gendarmerie nationale est devenue l’organisme payeur et elle a décidé de rajouter des conditions à la norme réglementaire », défend Me Alain Antoine, l’avocat choisi par les membres du collectif pour faire entendre leur voix. « J’estime que c’est de la discrimination et que celle-ci doit être combattue ! Comment voulez-vous qu’il y ait une réelle cohésion d’équipe quand dans le même bureau, vous avez un gendarme X et un gendarme Y qui n’ont pas les mêmes droits. Cela crée un malaise ! » Aux yeux du collectif et du conseil saint-paulois, la gendarmerie ferait une mauvaise interprétation des textes de loi. « Nous travaillons de la même manière que nos collègues, nous occupons les mêmes postes, nous sommes logés dans les mêmes casernes et nous faisons le même nombre d’heures hebdomadaires et pourtant nous ne sommes pas traités de la même manière », déplore l’un des quarante gendarmes présents hier aux côtés de Me Antoine.
L’exception corse pointée du doigt
« C’est comme si l’Etat disait que la retraite était à 65 ans pour tous les Réunionnais et à 32 ans et demi pour les autres ! C’est choquant mais c’est ce qui se passe actuellement au sein de la gendarmerie ». La prise en compte des Centres d’intérêts matériels et moraux (CIMM), dans le cadre de la loi sur l’ Egalité réelle aurait dû là encore être synonyme d’avancée pour les gendarmes, comme ça l’est pour l’ensemble des fonctionnaires ultramarins, mais là encore, les « originaires » partagent un sentiment d’injustice. « Jusqu’à présent, nous pouvions rester au maximum 9 ans dans notre département d’origine avant de repartir pour un autre département. Avec la prise en compte des CIMM, nous sommes censés pouvoir rester deux ans de plus, mais cela ne nous est jamais accordé dans la pratique. Paradoxalement, le non-originaire a plus de chance de rester 11 ans s’il fait jouer le fait qu’il ait par exemple une épouse réunionnaise, des enfants nés ici, ou s’il a acheté une maison », déplorent les gendarmes pays. Ces derniers pointent aussi du doigt l’exception corse. Les originaires de l’ile de beauté ont eux le droit de faire toute leur carrière localement. « On a aussi tous croisé des collègues métropolitains qui ont pu faire toute leur carrière en restant dans le même département. C’est d’autant plus difficile pour nous de comprendre pourquoi nous n’en avons pas le droit ! On nous répond que l’on ne travaillerait plus si l’on nous laissait rester chez nous, mais la conscience professionnelle n’est pas réservée aux métropolitains ! » Les gendarmes frondeurs ont fait face jusqu’à présent au silence de leur hiérarchie. « On nous a dit de faire attention ! Qu’à trop crier, nous allions finir par perdre vos droits ! Ils pensent que comme nous sommes une minorité, on ne dira rien. Mais on en a marre aujourd’hui ! » Me Alain Antoine indique qu’il ne ferme pas la porte à la discussion. « Nous alertons aujourd’hui l’opinion publique et nous espérons que les politiques, le préfet ou encore la gendarmerie veulent discuter avec nous. Si cette phase de médiation ne fonctionne pas, nous saisirons le tribunal administratif ». L’avocat annonce aussi qu’il va saisir le défenseur des droits dès la semaine prochaine. « Si nous ne sommes pas entendus, nous saurons nous faire entendre autrement. Et ce sera cette fois à découvert que nous taperons du poing sur la table ! ». Le collectif réunionnais s’est déjà rapproché de la députée Ericka Bareigts, mais aussi d’autres collègues ultramarins.
Harry Amourani
jir, mardi 13 mars 2018