Elle perd son bébé in utero : le tribunal administratif reconnaît la faute du chu

« Nous allons enfin pouvoir faire notre deuil »

En 2013, Lætitia Maillot perdait son bébé décédé in utero. Hospitalisée pour un risque d’accouchement prématuré, la trentenaire estime que le CHU a commis une faute dans sa prise en charge. Devant le refus de l’établissement hospitalier de reconnaître sa responsabilité, le couple s’est tourné vers la justice et a obtenu gain de cause. Témoignage.

« En matière de responsabilité médicale, il y a un double parcours. Avant d’engager la responsabilité d’un centre hospitalier ou d’un praticien, il faut d’abord saisir le juge des référés et faire une demande d’expertise. C’est déjà une première épreuve. Puis, il faut passer le cap de l’expert. Souvent la victime se retrouve face à ‘‘un tribunal ‘‘, c’est-à-dire qu’elle doit seule faire face aux observations de la partie adverse qui a parfois peu de considération pour elle. Il faut être armé sur le plan moral. En fonction de ce qui dit l’expert, on décide si on va en justice ou pas. Il faut enfin convaincre le tribunal. Heureusement, à La Réunion, la justice est assez rapide » commente Me Alain Antoine, le conseil de la famille Maillot.

La double peine

 Pour les Maillot, l’affaire a tout de même duré 6 ans. Le fait que le temps de la justice ne soit pas celui des victimes est incompréhensible pour eux. Cette année encore, à l’approche des fêtes de fin d’année, le couple va se serrer les coudes.

Comme à la Toussaint, à Pâques ou pour la fête des mères, périodes où leur regret de ne pas avoir d’enfant est encore plus fort que d’ordinaire.

« Le pus important pour moi aujourd’hui c’est que l’erreur médicale soit reconnue et que l’on ne me dise plus que c’est dans ma tête », témoigne Lætitia Maillot, 38 ans.

En 2009, la future maman fait une fausse couche à 5 mois et demi de grossesse. « J’avais ce que l’on appelle un placenta accreta. J’ai toujours été suivie par le même gynécologue du centre hospitalier Félix-Guyon. J’ai subi plusieurs curetages et mon utérus a été perforé en 2010. Ma seconde grossesse, de ce fait, était à risque. J’ai mis ma carrière professionnelle entre parenthèses et je suis restée alitée. Je ne faisais absolument rien pour mener le bébé à terme et j’étais suivie en continu » explique la trentenaire.

Le 11 janvier, à 30 semaines de grossesse, cette dernière a des contractions très rapprochées. Elle se rend en urgence à l’hôpital de Saint-Denis. Elle souffre d’une douleur anormale qui l’empêche de se coucher sur le côté. Le lendemain, les contractions cessent et elle est autorisée à sortir, à sa grande surprise, alors qu’un traitement en cas d’accouchement prématuré lui a été administré. La douleur est toujours présente. Le médecin évoque une hernie amniotique ou un kyste. Le risque de rupture utérine est évoqué. Les futurs parents sont très inquiets. On leur dit qu’il n’y a pas de place pour une IRM immédiate. Un rendez-vous leur est donné onze jours plus tard. « Vous vous stressez trop Madame, lui dit son médecin. C’est dans votre tête ».

L’autorisation de sortie est signée et Les Maillot rentrent chez eux avec un suivi prévu à domicile. Mais, trois jours plus tard, les douleurs reprennent. Ils se rendent aux urgences alors que la souffrance devient de plus en forte. « J’avais une douleur qui montait le long du torse et je n’arrêtais pas de crier. Je me doutais bien que ce n’était pas normal mais on me disait d’attendre. On m’a donné un suppositoire pour la douleur et l’attente a continué en pleine nuit. »

Une fatalité

Lætitia Maillot est surveillée par monitoring. Le bébé bouge et son cœur bat au début de la nuit. Puis, soudain, on annonce à la future maman que le bébé ne répond plus. « Une gynécologue est ensuite venue pour faire un monitoring avec une machine plus perfectionnée ».

Le verdict tombe : le bébé est décédé. L’immense douleur ressentie était due à une rupture utérine qui ne sera diagnostiquée que le lendemain par échographie.

La trentenaire est conduite dans une chambre où la nuit va se terminer dans une ambiance mortifère. « Je n’ai eu aucun soutien de l’équipe médicale. Pour eux, c’était une fatalité. J’ai tenté de joindre mon gynécologue traitant sur son portable. Il m’a répondu de voir avec l’équipe en place et que s’il se déplaçait, il ne serait pas rémunéré » raconte Madame Maillot sous le regard attentif de son mari.

Malgré le risque d’accouchement prématuré et la rupture utérine due à la perforation ancienne de l’utérus entrainant la fuite du liquide amniotique, Madame Maillot estime qu’elle n’a pas bénéficié des soins et de l’attention que son état aurait nécessité. Pire, qu’une erreur médicale est à l’origine de la perte du bébé in utéro.

« Le lendemain, j’ai pu faire une IRM. Là, il n’y a pas eu de problème de place. J’ai vu l’image de mon bébé mort. Sa tête se trouvait à l’extérieur de la cavité utérine. On m’a ensuite fait une césarienne. Pour la deuxième fois de ma vie, j’ai tenu un bébé sans vie dans mes bras. On m’a dit que j’avais de la chance car à Mayotte, la même semaine une maman était morte suite à une rupture utérine. »

« Une compensation nous a été proposée mais il n’en était pas question. Nous voulions que la responsabilité entière du centre hospitalier soit reconnue » témoigne Monsieur et Madame Maillot dont le combat a duré 6 années. »

Préjudice moral et angoisse

Les Maillot réagiront immédiatement pour que soit reconnue la faute du CHU sans imaginer que leur combat durerait si longtemps. Plusieurs experts se sont succédé, certains n’ont pas accepté la mission. Une conciliation a été envisagée pour discuter d’une indemnité compensatoire. « J’ai refusé. Ce dont j’avais besoin en tant que mère, c’est qu’il reconnaisse leur entière responsabilité » lance la victime.

Une double peine pour ce couple qui ne pourra plus avoir d’enfant.

« Une reconstruction de l’utérus est possible mais c’est une opération à risque. Nous avons décidé de ne pas le prendre. Une démarche d’adoption est en cours. Nous aurions aimé faire appel à une mère porteuse mais nous n’en avons pas les moyens financiers pour l’instant » confient les Sainte-Mariens.

                Mi-Octobre dernier, le tribunal a tranché indiquant « qu’un suivi attentif de l’état de santé de Madame Maillot aurais permis de faire naître son enfant par césarienne dès lors qu’il était viable à 30 semaines d’aménorrhée » et évaluant la perte de chance à 95%.

Le tribunal a retenu le préjudice d’angoisse lié à la peur de perdre son enfant pour la mère indemnisée à hauteur de 19000 euros et 14250 pour le père.

                « C’est important pour nous de témoigner et que chacun sache qu’il peut faire valoir ses droits. Maintenant que la décision de justice est tombée, nous allons enfin pouvoir faire le deuil de notre petite fille. »

La décision du tribunal va faire jurisprudence

« L’histoire des Maillot, aussi triste soit- elle mérite d’être racontée. Elle doit faire école, c’est-à-dire permettre à ceux qui vivent ce genre de drame de réagir et demander justice. Le préjudice lié à la perte de l’enfant a été reconnu et il fera jurisprudence », relève Me Alain Antoine, l’avocat Saint-Paulois qui a défendu le couple.           

Pour la robe noire, la juridiction a compris et a mis le curseur au plus haut en ce qui concerne les montants d’indemnisation attribués à Monsieur et Madame Maillot.

La « juste » indemnisation

Plus généralement, la question de l’indemnisation juste au regard de ce que les victimes ont vécu et « perdu » se pose.

                Dans les cas des Maillot, un des experts a conclu à « une perte de chance de 100 % d’avoir donné naissance à un enfant viable si la prise en charge avait été adéquate ».

L’expert judiciaire a notamment estimé que « l’IRM aurait dû être préalable à la sortie de la patiente qui aurait, par ailleurs, dû rester à l’hôpital ».

                Les conclusions de l’expertise pointent encore « un défaut d’organisation dans les modalités de prise en charge du CHU et des interférences négatives dans les relations interservices. » A titre d’exemple, deux heures s’étaient écoulées entre l’arrivée de la patiente et l’écoute des bruits du cœur du bébé in utéro indiquant le décès.

                Un des experts indique enfin que le premier jour de son hospitalisation « si la plaignante, alors enceinte de 32 semaines, avait été gardée hospitalisée d’emblée et césarisée, l’enfant serait né viable, les monitorings du jour ayant été parfaitement normaux ».

                « À l’issue des résultats de la première l’expertise, nous avons écrit au CHU pour qu’il reconnaisse leur faute. Nous n’avons jamais eu de réponse » regrette Me Alain Antoine.

En Octobre dernier, le tribunal administratif a conclu à la faute du centre hospitalier universitaire Félix-Guyon.

Le Quotidien, mercredi 4 Décembre 2019