Installé depuis 1993 à La Réunion, Maître Alain Antoine s’est notamment distingué dans l’affaire du médiator, en représentant les victimes réunionnaises et de l’océan Indien. Mais nous l’avons sollicité pour ses compétences dans un tout autre domaine. Spécialisé en droit commercial, en droit des affaires et du travail, il est amené à assurer des prestations de conseil sur des contrats d’affaires, à aider à la mise en place de réseaux de distribution exclusive ou encore à intervenir par rapport au recouvrement de créances… Quelles sont les lois faisant foi dans le secteur du commerce en réseau ? Quels sont les engagements impliqués par tel ou tel contrat ? Quels sont les motifs de rupture d’un contrat de franchise ? Autant d’interrogations juridiquement analysées par cet expert.
Le Mémento : Quelles sont les différences exactes entre la franchise, la licence de marque, la concession exclusive, la commission-affiliation, ou encore le partenariat ?
Maître Alain Antoine : Dans le monde des affaires on a tendance à parler de franchise pour toutes les formes de commerce organisées en réseau. En droit français, il existe cependant différentes formes juridiques du commerce organisé. Le choix se fera selon l’investissement financier disponible, l’expérience et le besoin d’assistance que l’on estime nécessaire à votre réussite et enfin, le secteur d’activité choisi.
Les voici, en commençant par la forme la plus complète :
– La franchise : Le franchiseur cède le droit d’exploitation de la marque, transmet son savoir- faire et assure un accompagnement tout au long du contrat. Le franchisé paye des droits d’entrée et des royalties pour le fonctionnement et la publicité. La franchise inclut donc une licence de marque, une concession de produits ou de services et ajoute un transfert de savoir-faire, une formation et une assistance permanente par le franchiseur.
– La licence de marque : Le titulaire de la marque accorde à l’entrepreneur le droit d’utiliser cette marque en échange de redevances ou d’une somme forfaitaire. Les mesures d’assistance sont moins complètes que dans le contrat de franchise et l’investissement moins onéreux aussi.
– La concession : Il s’agit d’un contrat d’exclusivité de distribution de produits pour une durée déterminée comme les concessionnaires automobiles. Différentes enseignes utilisent ce terme pour des formules d’association variées dont le but est normalement de vendre les produits ou services définis sous la marque. La concession inclut un contrat de licence et y ajoute un accord de distribution de produits ou services. D’une manière générale, le concessionnaire ne bénéficie pas de services comparables à ceux d’un franchisé et en théorie il n’y a pas de transfert de savoir-faire ni d’assistance permanente forte. Dans ce cas, c’est également le contenu du contrat qui compte. Le but est clairement d’avoir un réseau de distribution, exclusif ou pas, pour écouler les produits sous la marque.
– Le partenariat : Le partenariat et l’affiliation ne reposent sur aucune définition juridique. En principe, le partenariat est plus souple que la franchise; en pratique, le terme partenariat recouvre des situations tellement variées que seul le contenu du contrat pourra le définir. La plus grande prudence est exigée quand on utilise un tel vocabulaire au contenu si imprécis et surtout si différent d’une personne à l’autre. Le partenaire indépendant s’implique dans l’application du concept et obtient
– le droit d’exploitation de propriété intellectuelle pour commercialiser des produits ou services, en échange d’une compensation financière mais sans hiérarchie entre les membres du réseau.
– La commission-affiliation : La commission- affiliation consiste à placer les articles en dépôt- vente chez l’affilié. Pour des produits équivalents, l’affilié est rémunéré par une commission un peu plus faible que la marge, afin de tenir compte de divers facteurs comme le coût des livraisons. La commission-affiliation existe avec franchise ou sans, c’est-à-dire avec transfert de savoir-faire et assistance ou sans. Particulièrement adapté aux commerces de vêtements et d’accessoires de mode puisqu’il s’agit d’un contrat par lequel des marchandises sont mises en dépôt chez l’entrepreneur indépendant contre commission.
– La chaîne volontaire : par ce contrat d’adhésion, des produits référencés sont fournis en exclusivité à des détaillants.
Le Mémento : Quels sont les motifs de rupture d’un contrat de franchise, du côté du franchiseur et du côté du franchisé ?
Maître A. A. : Les contrats de franchise sont en général conclus pour une durée déterminée, par exemple trois, cinq, sept ou dix ans. La fin du contrat intervient donc normalement à l’arrivée du terme prévu, sauf si une clause prévoit un renouvellement par tacite reconduction. Toutefois, il peut arriver que les relations entre le franchiseur et le franchisé prennent fin avant l’arrivée de ce terme, à l’initiative de l’une ou l’autre des parties. De manière générale, le franchiseur peut rompre par anticipation les liens contractuels avec le franchisé lorsque ce dernier ne respecte pas ses obligations. Par exemple, si le franchisé contracte avec un groupement d’achat concurrent ou ne paie plus les redevances. Mais, même dans ce cas, les usages prévoient que le franchiseur respecte un délai de préavis d’au moins six mois. À défaut, il peut être condamné à des dommages et intérêts calculés en référence au chiffre d’affaires que le franchisé aurait pu réaliser pendant ce préavis. À noter également que certains contrats de franchise imposent aux franchisés des clauses d’objectifs ou de croissance. Si ces clauses ne sont pas respectées, elles peuvent entraîner la rupture anticipée ou le non-renouvellement du contrat. Le franchisé peut également décider de rompre le contrat.
Les franchiseurs ayant une obligation de renseignement et d’information au moment de la signature du contrat, le franchisé peut obtenir la résiliation du contrat aux torts du franchiseur lorsque cette obligation n’est pas respectée. Ainsi, la résiliation d’un contrat de franchise a déjà été prononcée aux torts exclusifs d’un franchiseur dans la mesure où ce dernier n’avait pas informé immédiatement son franchisé de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire contre son réseau. Le franchisé peut aussi mettre fin au contrat si le franchiseur ne lui fournit pas, notamment, le savoir-faire promis ou l’assistance technique pré- vue. De même, la cession du fonds de commerce du franchisé avant le terme du contrat est un cas de rupture anticipée. Le franchisé doit alors verser les indemnités contractuelles – d’un montant fixe ou variable, selon les cas. Mais attention ! Quitter le réseau de franchise en cours d’exécution du contrat impose au franchisé de disposer de raisons objectives et de prouver que les manquements du franchiseur justifient la résiliation anticipée. En effet, le franchiseur peut ensuite se retourner contre son franchisé et lui réclamer des dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi, du fait de la cessation des relations, ou faire valoir la clause pénale prévue au contrat.
Un certain nombre d’obligations s’imposent au franchisé lors de la résiliation du contrat. Il doit en particulier abandonner tous les signes distinctifs de la marque, restituer l’enseigne, le matériel publicitaire et les documents fournis par le franchiseur. Ainsi, sans accord de “rupture à l’amiable” avec le franchiseur, si le franchisé décide un jour de quitter votre réseau prématurément, il risque de tout perdre : le fonds de commerce, le droit d’entrée, l’investissement en aménagement…
Le Mémento : Sur quels critères est déterminée la somme reversée au franchiseur ?
Maître A. A. : La relation franchisé-franchiseur est aussi une question financière. Lorsque le franchisé intègre un réseau, il s’acquitte d’un droit d’entrée, qui finance l’intégration de ce dernier au sein du groupe. Il s’agit du droit d’utiliser la marque. En fonction de l’enseigne, il inclut le savoir-faire, l’exclusivité territoriale, les études préalables, la formation initiale, ainsi que l’accompagnement à l’ouverture. Chaque réseau en décide librement. Une fois en activité, le franchisé paie des redevances directes ainsi que des royalties. Si le droit d’entrée permet surtout de rémunérer les formateurs et de couvrir le travail réalisé en amont par le franchiseur, les redevances sont un pourcentage sur le chiffre d’affaires hors taxes permettant de faire fonctionner le réseau (animation, recherche et développement, etc.).
La redevance est comprise entre 2 et 10 % du chiffre d’affaires. Certains réseaux prélèvent un montant forfaitaire, quel que soit le chiffre d’affaires réalisé par le franchisé, tandis que d’autres modulent la redevance en fonction du résultat. Les royalties, quant à elles, correspondent à la com- mission que le franchisé reverse au franchiseur, généralement 3 % du chiffre d’affaires. Dans les réseaux bien implantés, il est parfois demandé à tous les franchisés de payer des redevances servant à financer la publicité nationale, entre 0,5 et 5 % du chiffre d’affaires hors taxes. Certains réseaux n’exigent pas de royalties et se rémunèrent sur les marges obtenues avec les produits vendus. Dans ce cas, il faut acheter une grande quantité de ses stocks auprès du franchiseur. Il inclut le droit d’entrée, le stock initial ainsi que les frais d’aménagement. À cela s’ajoute le coût de l’immobilier, à la charge du franchisé. L’apport personnel correspond, lui, à plus ou moins 30 % de la somme investie par l’entrepreneur, qui se chiffre en moyenne à 70 000 euros. Le financement bancaire est généralement de deux tiers du montant total de l’investissement nécessaire.
Le Mémento : Au coeur du système de franchise, comment est mesurée et jugée la notion de savoir-faire ?
Maître A. A. : Le savoir-faire est un ensemble d’informations pratiques non brevetées, résultant de l’expérience du franchiseur et testées par celui- ci. Il est secret, substantiel et identifié. D’abord il est secret, c’est-à-dire que le savoir-faire, dans son ensemble ou dans la configuration et l’assemblage précis de ses composants, n’est pas généralement connu ou facilement accessible. Ensuite, il est substantiel, c’est-à-dire que le savoir-faire doit inclure une information indispensable pour la vente de produits ou la prestation de services aux utilisateurs finaux et notamment pour la présenta- tion des produits pour la vente, la transformation des produits en liaison avec la prestation de services, les relations avec la clientèle, et la gestion administrative et financière ; le savoir-faire doit être utile pour le franchisé en étant susceptible, à la date de conclusion de l’accord, d’améliorer la position concurrentielle du franchisé, en particulier en améliorant ses résultats ou en l’aidant à entrer sur un nouveau marché.
Enfin, il est identifié : c’est-à-dire que le savoir- faire doit être décrit d’une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier qu’il remplit les conditions de secret et de substantialité; la description du savoir-faire peut être faite dans l’accord de franchise, dans un document séparé ou sous toute autre forme appropriée. L’appréciation du savoir-faire doit donc se faire au regard, entre autres choses, de l’ignorance du franchisé, ce que le juge considère ici, par une formulation originale, comme des “tâtonnements longs et coûteux. Le juge est même un peu plus précis en recherchant les éventuelles connaissances ou expériences du franchisé.
Le Mémento : Quels sont les pièges à éviter pour le futur franchisé ?
Maître A. A. : Le côté rassurant de la franchise est d’intégrer un réseau solide et ayant fait ses preuves. Seulement voilà, il n’y a pas d’ombre sans soleil et il arrive parfois que des franchiseurs peu scrupuleux essaient de vous « entourlouper » avec certaines pratiques frauduleuses ou abusives. Il y a des profils types de franchiseurs à éviter, comme par exemple : le franchiseur qui essayera de tout imposer et donc par la suite de tout contrôler, le franchiseur qui se dérobe à ses responsabilités futures en essayant de faire signer un contrat à la formulation floue, le franchiseur qui force à signer pour des clauses d’exclusivité et de non concurrence très restrictives pour pouvoir profiter de la situation après la rupture du contrat, le franchiseur qui recrute tous azimuts sans restriction ni sélection aucune et à l’affût des droits d’entrée pour renflouer leurs fonds propres, le franchiseur qui ne jouit pas d’une bonne réputation auprès des franchisés du réseau; et enfin, le franchiseur qui retarde l’échéance pour vous transmettre les documents justifiant de la fiabilité et de la solidité de son enseigne. Il y a un gros risque qu’il essaie de faire passer un service sujet à un simple partenariat pour produit franchisé, auquel cas, il sera très dur de convaincre le réel franchiseur une fois l’arnaque démontrée. Les pièges tendus aux franchisés sont souvent les mêmes : des réseaux de franchise qui vendent du vent, un réseau de franchiseurs qui prévoit des chiffres astronomiques sur le prévisionnel, un vendeur de matériel sans le moindre service à valeur ajoutée, des fausses exclusivités et les clauses abusives, des réseaux de franchise qui enchaînent les ouvertures pour encaisser les droits d’entrée, un réseau de franchiseur sans fonds propres ou défaillant ou encore sans suivi ni formation à la clé.
Le Mémento : De quelle manière le franchisé est-il protégé?
Maître A. A. : La protection de principe du franchisé : la franchise est un contrat par lequel une personne, le franchiseur, transfère à une autre, le franchisé, des droits incorporels comme le savoir-faire, ou encore la marque ou l’image. Le franchiseur perçoit en contrepartie des droits pour
la durée du contrat. La définition en elle-même impose déjà quelques obligations, comme la transmission de la marque et de l’image, inhérente à tout contrat de franchise. En l’absence d’’une telle transmission, le franchisé pourra rechercher la nullité du contrat de franchise.
Il en est de même concernant le savoir-faire. L’article 1131 du code civil dispose que “l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet”. En application de l’article, le juge sanctionne par la nullité les contrats de franchise dont la cause serait constituée par un savoir-faire dépourvu de toute originalité et qui ne se distinguerait pas des règles de l’art que le franchisé peut apprendre par ses propres moyens. À l’inverse, le contrat de franchise suppose des obligations qui reposent sur le franchisé, comme son devoir d’exploitation conforme. Le franchisé tire alors de cette exploita- tion des bénéfices et supporte une part des risques. Le risque cependant semble ne pas pouvoir être trop important. Le contrat de franchise vise, en résumé, à reproduire un succès commercial. En vertu de cet objectif, la chambre commerciale de la Cour de cassation a consacré une cause de nullité pour erreur sur la rentabilité, par un arrêt du 4 octobre 2011. Le franchisé n’a pas à supporter seul un échec commercial dans le cadre du contrat de franchise. Il s’agit là d’une protection renforcée du franchisé voulue par les juges dans ce contexte singulier de crise économique
Memento, juin 2014