Une entreprise en pleine croissance peut-elle licencier pour des « raisons économiques », et supprimer des postes sans reclassement ? La cour d’appel de Saint-Denis a répondu non dans un dossier touchant le N°1 des spiritueux, Diageo. Une décision emblématique.
Licenciée pour des raisons économiques en juin 2014 par sa société, Diageo Réunion, une assistante marketing, vient de faire confirmer par la cour d’appel qu’elle avait été virée illégalement. « Sans cause réelle et sérieuse », dit plutôt la chambre sociale soulignant que l’entreprise appartient au leader mondial des spiritueux, Diego International, qui engrange des jolis bénéfices. A la Réunion, la filiale Diageo est également florissante puisque c’est elle qui importe le whisky Johnny Walker, l’alcool le plus bu après la bière. Le motif de de la suppression de poste dans le cadre d’une réorganisation ne tient pas un instant. Si bien que l’arrêt apparaît comme emblématique de la façon dont certains cadres font l’objet de licenciement sans ménagement.
Cette cadre était encore en congé parental quand elle avait été convoquée à un entretien préalable à un licenciement. Selon Diageo Réunion, une offre de reclassement lui avait bien été faite, conformément à la procédure. Ce que l’employée a contesté. Sur ce point comme sur le motif économique du licenciement, le conseil des prud’hommes de Saint-Denis lui a donné raison en juin 2017. Et Diageo Réunion n’a pas eu non plus gain de cause devant la cour d’appel.
Ce qui est intéressant de noter dans cette décision est que la suppression du poste de cette assistante marketing ne résulte pas d’une mutation liée aux technologies numériques comme on peut le voir dans d’autres secteurs. Mais bien du choix de l’entreprise de transférer les charges qui étaient confiées à l’employée à une équipe installée au Kenya. Le but de Diageo est donc « la recherche de réduction des coûts au moyen d’une réorganisation interne des sociétés du groupe », souligne la cour d’appel. Les tâches de la salariée licenciée ont été attribuées à d’autres salariés du groupe auquel la société appartient. En l’occurrence à Nairobi.
« Une période excitante de croissance »
Des économies qui « permettront d’investir dans des opportunités de croissances », selon des documents du groupe. La cour d’appel cite aussi une note de 2015 d’un des managers du groupe : « Notre business est entré dans une période excitante de croissance et nous devons nous assurer que nous avons les bons systèmes, les bons process et les bonnes personnes pour nous aider à délivrer cette croissance ». Du langage managérial dans le plus pur style qui démontre bien que Diageo est loin de connaître des soucis d’ordre économique…
Dans leur décision, les conseillers ont également retenu que le licenciement économique « ne peut intervenir que lorsque le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe ». Mais ils notent aussi que rien ne montre que « les tentatives de reclassement de la société ont été faites loyalement ». Le licenciement pour motif économique ne peut donc être justifié.
La cour d’appel a décidé que Diageo doit verser plus de 26 000 euros à l’assistante-marketing à titre de dommages et intérêts
« Cette décision de justice marque la protection de la femme lors de son retour dans l’entreprise après un congé maternité, observe Alain Antoine, l’avocat de la salariée licenciée. Il faut savoir que le code du travail protège la femme enceinte depuis le jour où l’employeur a connaissance de son état de grossesse jusqu’à son retour dans l’entreprise. Seul un licenciement pour faute grave ou pour motif économique est autorisé pendant cette période. Or, Diageo, qui a sans doute considéré qu’une jeune maman serait moins productive à son retour de congé, a pris la décision de s’en débarrasser après sa grossesse. Diageo a alors tenté de maquiller cette rupture en faisant croire qu’elle était rendue nécessaire pour des raisons économiques ! Fort heureusement tant la cour d’appel que le conseil de Prud’hommes ont compris la stratégie de Diageo et ont jugé que le licenciement de ma cliente était manifestement abusif. Je me félicite de cette décision de justice ».
Contacté, l’avocat de Diageo n’a pas souhaité commenter cette décision de justice.
jir, jeudi 14 février 2019