SOCIAL. Sollicité par la CFDT Santé, Me Alain Antoine, spécialiste du droit du travail, devrait engager dans les prochains mois un recours contre le décret mettant fin à l’indexation des primes.
Vous envisagez d’engager une procédure contre le décret mettant fin à l’indexation des primes. Pourquoi ? Ce décret est sorti par surprise. Personne ne s’y attendait. Son objet est assez dur puisqu’il a pour but de mettre fin à un élément de rémunération de beaucoup de fonctionnaires. Forcément, on se pose des questions sur sa légalité. On va en effet se concerter et mener une action pour attaquer ce décret.
Que lui reprochez-vous ? Il remplace un avantage collectivement acquis, c’est-à-dire l’indexation des primes, par un complément de rémunération. Je rappelle que le salaire des fonctionnaires se compose de la prime de vie chère de 35 %, de l’indexation de 18,5 % et des primes indexées. C’est sur ce dernier point que porte aujourd’hui le débat avec la question suivante : l’État est-il fondé à supprimer l’indexation des primes ? La réponse est non. Ce décret va à l’encontre même de l’essence du statut des fonctionnaires. La loi leur garantit un salaire et l’évolution de leur carrière professionnelle. Or, le décret anéantit cette protection sociale puisque les fonctionnaires hospitaliers vont voir leur pouvoir d’achat diminuer. Au lieu que leur salaire progresse à chaque nouvel échelon, celui-ci ne bougera pas. Et ce, pendant plusieurs années.
Quelle sera votre stratégie ? Dans un premier temps, dès que les premières personnes qui franchiront un échelon ne verront pas leur salaire progresser, nous saisirons la juridiction compétente. Les prochaines commissions paritaires validant la progression des échelons sont programmées en décembre. Il ne faut donc pas s’attendre à des changements avant la fin de l’année. Une fois les procédures lancées, le tribunal nous renverra sûrement à la publication du décret. C’est là où nous ne seront pas d’accord. L’indexation des primes est un avantage collectivement acquis. Nous demanderons à ce que l’indexation des primes soit toujours versée.
Autrement dit, le fait que cet avantage acquis existe depuis plus de 40 ans il ferait force de loi ? Exactement. Logiquement, l’État ne peut pas payer quelque chose qui n’est pas prévu par la loi ou par décret. La jurisprudence dit que, dès lors que quelque chose est acquis de façon collective, on ne peut plus y toucher, même s’il n’y a pas de base légale. Ça sera aux juges d’apprécier ce vide juridique et de donner, peut-être, une base légitime à cette prime.
Le nombre d’agents, qui engageront des recours, sera un élément important de votre démarche ? Oui, c’est très important. Si quelques agents seulement font des recours, peut-être que les tribunaux ne seront pas enclins à bâtir une jurisprudence. Il faudra une large mobilisation.
Si la décision ne vous est pas favorable, pourrait-elle s’appliquer à d’autres catégories de fonctionnaires ? Je travaille encore sur ce point-là. Il semble que d’autres corps de fonctionnaires soient concernés par l’indexation des primes. Dès lors qu’il n’existe pas de voie réglementaire, on prend un risque. Si on pose le problème de façon binaire il y a deux positions : soit la justice considère que l’indexation des primes n’est pas un avantage collectivement acquis donc l’État est en droit de le gommer ou alors, elle considère à l’inverse qu’il ne faut pas toucher à cet avantage.
Plusieurs décisions de justice ont déjà souligné l’absence de base légale de l’indexation des salaires. Est-il possible, qu’un jour, un gouvernement s’attaque à ce dossier ? Je me positionne sur un débat purement juridique et non pas sociétal. Mais une chose est sûre : si une réforme devait être lancée, il ne faudra pas le faire par un décret qui paraît en pleine nuit, comme cela vient d’être le cas.
Propos recueillis par Jean-Philippe Lutton
La directrice de l’ARS confirme l’application du décret Le décret instituant un complément de rémunération à la place de l’indexation des primes n’est pas reporté au mois de janvier 2019. Contrairement à ce qui a pu être rapporté jeudi après la signature d’un texte entre les syndicats et la direction du CHU et de Gabriel-Martin, ce décret sera appliqué dès ce mois d’octobre. C’est ce qu’a confirmé Martine Ladoucette, la directrice de l’ARS, à la CFDT Santé qui l’a interrogée sur ce point : « Les engagements pris par les deux directeurs vis-à-vis des organisations syndicales se situent bien dans le contexte de l’application du décret à savoir que celle-ci ne produira aucune minoration de salaire jusqu’au mois de décembre inclus, compte tenu du calendrier des CAP (commission administrative paritaire, N.D.L.R.) », a justifié Martine Ladoucette.
clicanoo, samedi 06 octobre 2018